Ouvrir la porte de la cage
Cela demande du courage de prendre le clavier, et très souvent, j'avoue en manquer. Fatiguée, lasse de tenter de lancer des mots qui n'atteindront pas leur but, celui de la pédagogie, de l'explication, de la traduction de maux en mots, comme disent mes copains intellos. Moi qui ne désire que la paix, moi la bonne élève qui veut que tout soit calme et tranquille, moi qui espère que tout se règle autour d'une table. Moi qui fuis le bruit, les conflits, les disputes. Mais qui reconnais en effet, que des fois, crever l’abcès est salvateur et se disputer est un mode de communication.
Le sujet que je vais évoquer aujourd'hui est tout de même, je vous le concède, un bon sujet de dimanche soir d'automne, un de ces soirs où l'onglet ouvert dans notre tête prend toute la place, plus de place pour réfléchir à autre chose, terminer ce que nous avions commencé ou même débuter la lecture d'un livre. Plus de place pour autre chose, parce que la liberté, nommons-la, cette liberté nous est parfois confisquée pour des raisons qui, à 40 ans bientôt, sonnent plutôt comme des prétextes. Alors, rassurons-nous je les entends déjà, ces commentaires, qui ne manqueront pas de venir égayer mes futurs dimanche après-midis. Mais tant pis.
C'est la liberté d'être soi, de penser, de s'assumer, de se maquiller si on veut, de sortir si on en a envie, de rester chez soi, de ne pas participer à certains événements, de ne pas se mélanger quand on sent qu'on voudrait être ailleurs, de ne pas "faire un effort" quand on est encore le seul à en faire. C'est assumer le non, sans se justifier, c'est partir en vacances, sans avoir besoin de se torturer sur ce que diront les gens, et je vais recentrer le débat, ce que dira notre famille.
Nous ne venons pas au monde volontairement, il faut des actes pour que nous arrivions. Mais une fois arrivés, notre existence n'est pas soumise à une épée de Damoclès : notre existence NOUS appartient. Notre vie, notre temps, nos secondes, nos minutes, nos fréquentations, nos erreurs, nos faux pas, tout ça c'est à nous, et à personne d'autre. Même pas à ceux qui nous conçoivent, nous guident ou tout au moins sont censés le faire, jusqu'à ce que nos frêles ailes nous permettent de voler. A force de vouloir nous surprotéger, quand le temps est révolu, à force de craindre pour la vacuité "du temps qui reste" puisqu'on leur a appris qu'il fallait être utile pour être aimé, nos anciens, nos aïeux, nos parents, nous mettent une pression qui nous empêche d'être authentiques. Pour s'en prémunir, on ne dit plus rien, on raconte l'essentiel en quelques titres, comme ces chaînes d'info en continu. On ne partage plus, sous peine de commentaires aussi désagréables qu'inutiles pour vivre en paix, nos moments de joie, nos moments de construction de jeune puis d'adulte, on passe sous silence nos expériences, nos découvertes, nos voyages et nos aspirations. On devient donc des mystères pour ceux qui devraient nous connaître par cœur. On ne peut pas nous connaître par cœur si on ne nous accepte pas, avec nos erreurs, nos fêlures, notre liberté. Vivre en ayant l'impression d'être en dette envers nos parents est insoutenable, c'est l'inverse de la légèreté, alors que notre temps lui est compté, puisque nul ne connaît la fin de ses jours. C'est une roulette russe, un tirage au sort divin, quelque chose qui échappe à notre contrôle. Je suis bien placée pour vous dire qu'on peut disparaître avant ses parents, que l'âge n'est plus une garantie, que personne ne sait s'il vivra assez longtemps pour voir tel ou tel événement survenir, et qu'on a parfois même pas le temps de se demander si on veut des enfants, que la mort passe par là et fauche notre jeunesse. Je le sais. Alors j'ai envie que nous vivions et cessions de nous cacher pour exister. J'ai envie d'être moi, pas celle qu'on attend que je sois, que vous soyez vous, authentiques, heureux.
Je le dois à celles et ceux qui sont partis trop tôt à mes yeux et qui auraient dû fêter leurs 40 ans cette année, je le dois à moi, qui vais bientôt les avoir, et qui ai la chance inouïe d'être encore en vie. J'ai joué des personnages, j'ai tenté de faire le bien, j'ai eu envie d'être sage, ça m'allait sans doute bien parce que je pensais que la paix s'obtenait en compromis. Mais je ne peux plus faire de compromis sur ma vie. Nul n'est plus responsable que moi de ma propre existence, et socialement il me semble que je n'ai pas à rougir : avocat, enseignante, journaliste, écrivain, en si peu de temps, mon âge n'a même plus rien à voir là-dedans. J'ai vécu ces expériences, et elles m'appartiennent. Je les embrasse et les quitte si c'est ainsi qu'elles résonnent en moi. Tant d'années sans m'affirmer, sans être vraiment, toujours à peu près, à moitié, alors que je suis entière et vraie, ont eu raison de ma patience. Tant pis si mon mode de vie n'est ni conventionnel, ni acceptable, vivre seule, sans mari ni enfant à mon âge ne fait pas de moi une adolescente. J'en connais d'autres qui pensent devoir se sacrifier, qui pensent devoir vivre à côté de leur vie et qui verront plus tard. Jacques Prévert l'a dit pourtant, plus tard il sera trop tard. Prendre le risque de déplaire parce qu'on est soi, sincèrement, c'est qu'il était temps de passer à l'action. Vivre n'est pas manquer de respect à qui que ce soit, ne pas vivre c'est se manquer de respect à soi et à la vie même.
Le capitaine à bord, donc, c'est soi, vous de la vôtre moi de ma vie. Chacun la sienne, on n'est responsable que de soi. Pas de ce que les gens pensent, pas de ce qu'ils attendent, pas de leurs projections, pas de leurs envies. "Il est venu le temps d'ouvrir la porte de la cage" disait une carte plus tôt dans la journée. C'est vrai. Les croyances ont eu l'avantage sur le bonheur trop de temps.
Jusqu'à quand doit-on se sentir responsable, redevable, endetté vis-à-vis d'autres personnes que soi ? Je ne connais pas l'expérience de la maternité, je connais celle de l'enfant que j'ai été il y a longtemps. L'indépendance n'est pas un défaut. Quand on ne compte que sur soi, on ne peut pas accepter la pression, c'est ainsi qu'il faut l'entendre. Nul ne peut mettre ses pas dans les nôtres, connaître les brûlures de nos manques et les déchirements de nos peines. Nul ne sait ce que nous avons vraiment ressenti, vécu, perdu, cru, appris.
Ce n'est pas de l'irrespect que de le revendiquer, c'est juste que chaque individu est un humain à part entière et n'est pas le prolongement d'autres humains qui lui ont donné la vie. Nous ne sommes pas endettés. Nous sommes libres et égaux en droits. C'est un concept certes suranné mais pourtant toujours d'actualité, et jusqu'à preuve du contraire c'est la seule loi qui soit. Libres et égaux. Nos existences n'appartiennent à personne. On ne peut nous la reprendre parce qu'elle n'a pas été prêtée par nos parents, elle a été donnée par la vie. Donc... nul n'est plus à même de savoir ce qui est bon pour soi, que soi, une fois la majorité acquise, et même avant, quand bien même l'autorité parentale prévale en matière de responsabilité, devant la loi. Je ne mélange pas tout : l'amour parental n'est pas une chape de plomb, de même manière qu'on ne peut nous reprendre la vie, normalement l'amour filial et parental est acquis, on ne peut pas le reprendre non plus parce que les enfants ne correspondent pas à des projections, ou parce que les parents sont totalement en décalage avec des besoins. L'amour est inexplicable, irremplaçable, quels que soient les torts des uns et des autres, l'amour est au-dessus de tout. L'amour c'est rendre les gens libres, leur faire assez confiance pour leur permettre d'avancer, les guider sans les contraindre, les accompagner sans les posséder. Voilà. Nous ne sommes pas des objets, nous ne pouvons être possédés. Par personne. Jamais.
Ni nos pensées, ni nos croyances, ni nos obligations. Rien. Personne, ni nos parents, ni nos conjoints, ni nos enfants. Nous n'appartenons qu'à nous et ça peut être effrayant. Au jugement dernier aussi, nous serons seuls, quand il faudra regarder le film de notre vie, nous serons seuls, face à nos choix et nos non-choix. Personne n'en est responsable, sauf nous. Il faut assumer ce que nous sommes et c'est urgent. Dans un monde de tiédeur, un monde de faux-semblants, où tout s'achète même le silence et l'affect, où un clic vaut approbation sociale, où on ne peut pas s'exprimer faute de quoi les censeurs sifflent sur nos têtes, ayons le courage d'être nous-mêmes. Ayons l'audace de nous affirmer, de nous accepter, d'être nous, entièrement, sans compromis. Joyeux dans un monde gris, affectueux dans une société ego-centrée et froide, sincères dans une société hypocrite. En clair : faire plaisir aux autres c'est bien, se reconnaître dans le miroir c'est mieux.
Donc je n'écrivais plus ici depuis longtemps, faute de comprendre par où aborder le sujet et c'était le seul qui comprimait ma cage thoracique depuis ces dernières semaines. Tout, autour de moi, clignotait en ce sens, depuis des mois, les mots entendus, les gens aperçus, les moments vécus. Il y a des costumes trop lourds à porter et les rendre est la meilleure décision à prendre pour sauver sa peau. Je pense souvent aux paroles de cette chanson des Brigitte. Lors des premières écoutes, j'ai cru qu'il s'agissait d'une chanson de rupture. En réalité pas vraiment : c'est une ouverture. Celle de la porte d'une cage trop lourde. Cette chanson, c'est celle que je vous offre ce soir. Nous sommes tous enfermés dans des cages, dont les barreaux sont nos croyances, nos culpabilités, nos craintes, nos peurs. Je vous propose de ... nous incarner. De prendre la poudre d'escampette de ce qui nous comprime, nous oppresse, de jeter en l'air l'image lisse et de retrouver avec joie nos aspérités. J'en suis, vous venez ?
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