Trève de billevesées

Pourquoi ment-on? Excellente question n'est-ce pas? Pourquoi enjolivons-nous la réalité, croyons-nous en plus, aux choses embellies que nous nous racontons, à nous-mêmes, et aux autres? Pourquoi réinventons-nous sans arrêt notre vie? 

En matière de mensonges, je peux parler sereinement, dans ma famille "on ne dit pas", on "réajuste" le réel et j'ai été avocat, donc réajuster le réel pour que ça colle à la situation, finalement, c'est un peu mon domaine. Mais mentir est un art. Ne ment pas qui veut, et surtout pas n'importe comment. Je ne nommerai pas mes maîtres en la matière et pourtant j'en connais quelques-uns, et depuis longtemps, qui n'ont pas à rougir de leurs années d'expérience sur le sujet.

Je ne sais pas à quand remonte la première fois que j'ai surpris quelqu'un en train de mentir éhontément. Mais je me souviens de mon petit frère dont les yeux roulaient quand il mentait, et je lui faisais gentiment remarquer que je ne le croyais pas. Depuis, malheureusement, la malédiction du filtre de vérité s'est emparée de moi. Je dis malheureusement à bon escient parce que je sais, quand on me ment. Je le sens, je le vois, je l'entends dans une tonalité, mon cerveau, sur-entraîné à entendre des conneries énormes, des ficelles en plomb, sûrement une déformation professionnelle, analyse les informations immédiatement, les remet dans l'ordre, recoupe les événements et arrive à la conclusion, doublé par mon instinct qu'on est clairement en train de me mentir. Mais je ne dis rien. J'attends. 

Je sais que tôt ou tard ça va sortir, déraper, s'éclater au sol, parce que les gens croient qu'ils peuvent mentir, s'engoncer dans une double vie, ou un mensonge ancestral, comme ça, sans préparation. Il faut un minimum de savoir-faire en réalité. Mentir, vraiment, c'est un art, une gymnastique. Cacher des choses aux gens, particulièrement proches et surtout instinctifs, comme, malheureusement je le répète, c'est mon cas, ce n'est pas évident. Mais, je le répète, je n'en tiens pas rigueur à ceux qui essaient mais échouent. Peu de gens ont réussi à suffisamment bien maîtriser leur mensonge pour que je ne m'en aperçoive pas. Y en a même qui en ont fait un art de vivre. Et qui décident, un jour, de sauver leur peau.

J'ai discuté avec un homme qui en a fait l'expérience. Il a sorti un livre, un roman vrai. Je l'ai lu deux fois. Une fois, avant qu'il accepte une interview, à propos de ce livre, une deuxième, pour moi. Les deux fois, j'ai ressenti avec une grande joie qu'il venait de se sauver la vie. Parce qu'il en faut du courage, pour sortir d'une carrière d'enjoliveur de vie cabossée. Tout ça sans drogue, sans alcool, sans dérive? Chapeau. Il en faut, de l'abnégation, pour dire sur la place publique "j'ai écrit des fables, depuis 20 ans, et je vous le dis. Vous ne me croyez pas, et bien je vous le démontre." Ce faisant, il a réussi à sauvegarder la deuxième partie de sa vie, celle de sa re-naissance. Je suis admirative. Je lui ai dit.

Oui, voilà où j'en suis. Je dis. Moi aussi, je garde des choses pour moi bien entendu. Des ressentis, des réflexions et c'est heureux. Mais en dix ans, j'ai appris à être vraie, à ne pas jouer de personnage, à me simplifier la vie. Car le menteur est en veille permanente. Il doit donner de la vraisemblance à son propos, pour ne pas être pris en porte-à-faux, sinon tout s'effondre. Et on ne croit plus rien de ce qu'il va raconter après, il sera pour toujours suspecté, on se méfiera de lui. Et le charme, cette petite enveloppe dans laquelle on se love gentiment, en acceptant les ritournelles, en acceptant l'exagération, et ce qui sonne faux à l'oreille musicale, cela risque de se rompre.

Il y a toutes sortes de mensonges, et j'en conviens, la plupart sont pieux, et de protection. Je ne dis pas tout, j'anticipe, je pirouette parfois, j'améliore aussi, parce que la réalité a parfois ses laideurs insoutenables pour les rêveurs, dont je fais partie. J'ai tant dû ramer pour faire croire que les gens avaient changé, qu'ils étaient meilleurs, qu'ils y arriveraient, qu'ils feraient des efforts. Qu'on pouvait, leur faire, confiance. Ah oui, j'y ai cru à ça moi aussi. Je me suis présentée parfois, sous mon prénom préféré, Gioia, J'ai prétendu être italienne, et vivre en France, jusqu'à ce que je sois lasse qu'on me parle des sonorités françaises de mon accent. J'ai prétendu être la fille d'une mère sur-mesure, avant que je découvre que je me mentais, depuis plusieurs années. J'y croyais. J'y croyais vraiment avec sincérité. C'est cette femme que je voulais être, cette fille, cette nationalité. Ce n'était pas totalement faux, vu que j'ai deux cartes d'identité. Mais je voulais être cette personne que je pensais mieux que moi. J'absorbe les accents, et peux être qui je veux au gré de mes saisons, quand je voyage, je parle italien, quand on me demande la route en français. Pourquoi? Est-ce ma fantaisie qui décide de faire de moi l'héroïne d'un autre roman que celui, le vrai, qui se joue en ce moment? Peu de gens connaissent ma vie privée, ma vie sentimentale, qui sont ceux que j'aime ou ai aimés, la nature de mes relations avec untel ou untel. Est-ce un mensonge par omission? Ou simplement la discrétion qui m'apprend à me protéger? A partir de quand s'arrête la protection et commence le mensonge, la commedia dell'arte, la fiction? Aujourd'hui, je me connais, j'ai fait la paix. Je dis les choses quand elles doivent être dites, j'assume les erreurs, quand ce sont les miennes, je dis non, quand je ne peux pas sans croire encore que je suis dotée du don d'ubiquité. J'ai effacé le tableau de mes dettes à moi-même, je suis alignée. Bien sûr, toute vérité n'étant pas bonne à dire, parfois, je me tais. Je ravale les mots, les écris ailleurs, sur des carnets. Contrairement aux premiers articles que j'ai commis avec rage il y a 9 ans, ici, je n'écris plus de premiers jets, je réfléchis. Aucun mot, ici, n'est donc posé sans raison. 

Comme Alexandre.

Je suis donc fascinée par ce livre-confessions, ce livre-risque, ce livre-aveu. Donc je le dis, je l'écris et je le publie. Au-delà du point de vue journalistique, l'être humain qui dort en moi avait aussi un avis. Mais attention, on a tous un degré de lecture différent. Qui est sorti de soi, a puisé au plus profond pour en ressortir plus fort, épuisé mais heureux, le lira aligné avec celui qui l'a écrit. Seuls ceux qui ont encore un masque, le jetteront ou seront incapables de le comprendre. Entre les lignes une phrase, épatante: arrêtez de mourir!! Alors quoi, il faudrait arrêter de mentir? Comme ça du jour au lendemain? Dire toute la vérité, lever la main droite et dire je le jure? Qui n'a jamais menti se jette à soi-même la première pierre. Non, rassurons-nous. Il y a une nuance entre garder la monnaie après avoir acheté une baguette pour s'acheter un magazine et réécrire tout un pan de sa vie sous les traits d'un inconnu qui serait meilleur que nous, une version "Bêta" de nous-mêmes.

Parfois, je n'ai pas pu me rendre à des soirées, par manque d'argent, et j'ai dit que j'étais fatiguée. Parfois j'ai faussé compagnie à des amis, parce que j'ai reçu un appel et dans le ton de la voix j'ai senti une détresse, parfois, je n'ai pas bougé de chez moi, en prétextant être très occupée alors que j'étais malheureuse, parfois, j'ai prétendu être seule alors que j'étais précisément avec la personne qu'on cherchait à joindre. J'ai couvert mes amis, j'ai inventé des bobards, je me suis fait passer pour eux, je les ai protégés, Je suis une championne toute catégories en création d'alibis, pour sauver la mise de ceux que j'aime je serai même disposée à réécrire des épisodes, et je pense à tout, pour crédibiliser l'histoire. Mais pourquoi? Pourquoi faire tout ça? Par amour, sans aucun doute. Par loyauté aussi? Oui peut-être.

Le mensonge est une arme. Elle peut détruire ou aplanir, elle peut sauver ou empoisonner les relations humaines. Comme toute arme, elle est à utiliser avec une précaution infinie. Avant qu'elle ne se retourne contre soi. Je continue à observer, parfois ça m'amuse, parfois ça me déçoit. Mais je suis toujours fascinée par l'énergie déployée par les gens qui essaient de me faire croire des choses que j'ai déjà devinées.Combien de messages qui ne m'étaient précisément pas destinés ai-je reçus? Combien de conversations, que je n'aurais pas dû entendre ai-je surprises? Combien de situations mes yeux auraient préféré ne pas voir, et de détails mon instinct aurait sans aucun doute préféré ignorer? C'est une malédiction. Mais par loyauté, par amour et parce que je place l'amitié bien au-dessus de tout le reste, je garde le silence. Et j'attends.

Ce livre-chance, en a été une pour moi, alors que je le refermais hier soir, pour la seconde fois. Je l'ai relu comme si je le découvrais. J'ai pensé à mon magicien préféré qui m'avait dit cette phrase, il y a 7 ans maintenant "beaucoup sont morts mais ne le savent pas." Il s'adressait à moi, m'enjoignait de sortir de ce rôle que je jouais. Depuis quelques semaines, je fais le tri, naturellement. Et la vie se charge de faire le reste. C'est parfois difficile, parfois inattendu. Mais bon, je garde le silence, j'avance, j'observe, je souris, et parfois mon sourire intérieur sort par mégarde. J'aime bien, sembler naïve et ingénue aux yeux de ceux qui encore, ont des choses visiblement à découvrir. C'est bien la preuve que je mûris, on voit moins en moi comme dans un livre ouvert. Après tout, un ami n'est-ce pas quelqu'un qui vous connaît, mais vous aime quand même?




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