L'écriture en héritage
L'écriture, cette chance de tous les instants, savoir former des lettres, des signes, savoir donner vie à des phrases entières, c'est une aubaine assez plaisante, et je me félicite d'avoir grandi dans un pays qui m'a appris à le faire.
Bien mieux, je vais vous parler de mon héritage, des gens qui avant moi dans ma famille, ont écrit, pas de livres ni de romans, pas d'essais ni de thèses, mais des lettres, des milliers de lettres.
Mes grands parents sont arrivés en France séparément, mon grand père d'abord, en 1952, puis ma grand mère l'a rejoint en 1955, avec mon père et mon oncle, depuis la Calabre natale, qui n'arrivait plus à les nourrir suffisamment.
Mon grand père est donc devenu mineur de fond, à la fosse de Lewarde, près de Douai, les premières années dans les baraquements, pour voir venir, pour tenter sa chance.
Il a sans doute écrit quelques lettres à ma grand mère mais c'est surtout d'elle que je veux vous parler.
Ma grand mère, cette femme incroyable de 85 ans, qui a du passer deux ans en tout et pour tout à l'école, il y a trés longtemps, s'est vue séparée de sa famille, ses frères et soeurs, ses parents à l'âge de 24 ans.
Quand elle est arrivée en France, une de ses soeurs est partie en Argentine avec son mari, l'autre en Australie avec son frère, elle en France, et deux autres soeurs et un frère sont restés en Italie.
Je vous parle d'une période où il n'était pas évident de voyager en avion, où les billets low cost n'existaient pas, et surtout le seul moyen pour se parler les dix ou quinze premières années n'était pas le téléphone, mais les fameuses lettres "par avion" qui mettaient des semaines, des mois à arriver à destination, et autant pour recevoir la réponse....
Et ma grand mère, qui savait à peine écrire quelques mots, a réussi, bon an mal an, à tracer des lettres, des syllabes, à faire des phrases, en dialecte, approximativement, en phonétique surtout, pour prendre des nouvelles de ses frères et soeurs, embrassant l'enveloppe à chaque fois qu'elle atterrissait dans sa boite aux lettres.
Je me souviens d'elle, assise à la table de la salle à manger, écrivant sur son papier en grain trés fin, sur une feuille rayée, pour écrire droit, concentrée comme si elle passait un examen, écrire son amour fraternel, donner des nouvelles, répondre aux questions posées deux mois plus tôt par ceux qu'elle chérissait de l'autre côté de l'océan.
J'envoyais toujours des cartes à mes grands parents, ce lien était trés important pour moi, et je me suis rendue compte, que même si elle ne lisait que les prospectus et les lettres qu'elle recevait, elle y arrivait.
Et j'ai toujours admiré ça chez elle, quand j'ai compris l'importance essentielle de l'écriture.
Mon grand père lui, assez rustre et jovial essentiellement en société, s'occupait des papiers, et gérait l'argent du foyer.
Il n'avait personne à qui écrire mais ça ne le décourageait pas. Il écrivait sur de petits carnets à spirales, petits carreaux, des inventaires à la Prévert, des listes, des dates, des événements, même anodins, mais pour lui visiblement trés importants.
Un jour, j'ai découvert un de ces carnets posé sur la télévision de la cuisine. Par curiosité j'ai ouvert, son nom et son prénom étaient écrits en haut comme on le fait à l'école (où il n'a pas dû rester trés longtemps non plus!) et à chaque page, une note, la population de tel pays à la date du jour, le nombre d'oeufs pondus par ses poules telle semaine, c'était curieux, et avec le temps assez émouvant.
Car ils m'ont transmis cette "habitude". J'ai toujours un carnet et un stylo dans mon sac, et je dois être l'une des dernières personnes de ma génération à envoyer des cartes, des lettres, ou des choses par courrier, c'est désuet sans doute, mais j'aime le papier, j'aime les stylos, j'ai une passion dévorante pour la papeterie :)
Au final, le papier à lettres et les stylos, tout le matériel de bureau, font partie des plus beaux cadeaux que l'on m'ait faits.
Et je conserve religieusement les lettres de mon premier amoureux, (quand j'avais 15 ans :) elles ont 20 ans!! les plus belles lettres d'amour que l'on m'ait écrites de toute mon existence jusqu'à aujourd'hui!) celles de mes cousines et dans une valise en osier, celles de mes amis italiens, tous du même village, entre 1997 et 2000, que mon frère me ramenait en courant dans les escaliers, heureux du bonheur que ces petites enveloppes provoquaient chez moi.
Je pense souvent à Amélie Poulain, reconstituant une lettre pour sa voisine Mado, les lettres d'amour, ce sont des biens précieux, des objets d'art.
Et après avoir partagé toutes mes soirées avec Emma et Federico, qui ont échangé plus de six cent lettres dans des boîtes postales entre New York et Milan, durant le mois qui vient de s''écouler (L'amour est à la lettre A) j'ai de nouveau eu envie de me prêter au jeu.
Et j'ai repensé à mes grands parents, ils sont trop âgés pour écrire aujourd'hui, mais ils mettaient toujours un mot dans leurs cadeaux, et mon grand père écrivait à chaque fois un mot adorable à mon intention, des petits mots qui font du bien, "la splendeur de la famille", "la plus belle fleur de notre jardin" , "notre fierté", ils ont le sens de l'emphase n'est ce pas?
Je suis heureuse d'avoir ces souvenirs avec eux, alors que mon grand père perd jour après jour la mémoire, mais a joué de l'harmonica au dernier Noël pendant que ma grand mère esquissait quelques pas de danse et riait comme une ado à son premier bal.
Je suis heureuse qu'ils soient encore capables de dire des mots doux, de se regarder avec tendresse, malgré la fatigue et les moments moins faciles, parce qu'ils m'ont, sans le savoir, transmis un bien précieux, ma passion, ma joie de vivre: écrire.
Sur tout, sur rien, sur la vie, sur l'amour, sur les choses qui bout à bout créent une histoire.
Mes grands parents m'ont offert le plus beau des cadeaux, eux qui n'avaient pas le savoir, l'écriture en héritage.
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