Transition.
Ils étaient amis depuis quelques années déjà, sans vraiment entrer dans le détail de chacune de leurs particularités, mais ils s'aimaient bien, riaient souvent quand ils étaient ensemble, ça faisait plaisir à voir.
Au gré des saisons, ils ont partagé leurs états d'âmes, se sont vus, moins vus, entrevus, au cours de leurs péripéties amoureuses, et puis un jour, se sont perdus.
Une année environ, alors que lui traversait le désert et les tempêtes, et qu'elle bataillait pour sortir la tête de l'eau.
Revenu de son long périple intérieur, il revenait vers ses amis,et reprenait contact, notamment avec elle.
Combien de temps s'était écoulé entre la dernière fois qu'ils s'étaient vus et cette fois là, combien de temps avait coulé sous les ponts....mais ils retrouvaient leur joie, leur enthousiasme.
Et se retrouver ensemble, encore plus intensément qu'avant, leur donnait des ailes, des idées, des projets, des façons d'envisager leur amitié autrement.
Au détour d'une promenade, leurs mains se sont frôlées, laissant ouverte la porte d'une éventuelle embellie dans leur vie, un petit plus à leur amitié, renforcée, améliorée, une sorte de béquille pour vivre le quotidien, ce quotidien qui ne les avait pas épargnés, cette vie en laquelle ils croyaient mais qui ne leur avait pas toujours souri.
De fil en aiguille, et au fil de l'eau, leurs corps toujours se rapprochaient inévitablement, comme si cela coulait de source, un baiser, puis un autre, puis cette sensation d'être moins seul parmi la foule, ces heures passées à rêvasser, ces papillons dans le ventre à l'idée de se revoir.
Des échanges, des baisers, des mots doux, des balades, des plaisirs, des joies....des jours qui ne se ressemblent pas, des moments où la raison refait surface pour se demander "et toi?comment tu vis tout ça?" ils se comprenaient, s'entendaient à merveille, chacun cherchant à surprendre l'autre, déjà si surpris de pouvoir s'autoriser cette parenthèse, eux, les amis qu'ils étaient.
On avait envie d'y croire en les voyant ensemble, en les voyant rayonner, en la voyant elle, joyeuse, enthousiaste, se transformer de chenille en papillon, simplement sous le regard doux de celui qui lui faisait tant de bien.
Enfin, elle n'était plus seule, enfin elle vivait, enfin elle sentait battre son coeur d'une nouvelle musique, celle du bonheur.
On ne parlait pas d'amour en les voyant, on était juste heureux de les voir heureux et rayonnants.
Bien sûr, il y eut des doutes, bien sûr des moments d'absence incomprises, et surtout cette peur de l'engagement qui le tiraillait, cette envie d'avancer qui la faisait vivre et espérer.
Avancer ensemble?Avancer comment?
Des échappées belles, on ne se promet rien, une rééducation sentimentale comme ils l'appelaient, et on met nos coeurs au chaud en attendant la prochaine grande histoire d'amour, tiens et si c'était maintenant....?
Et puis elle eut cette idée, dans son enthousiasme débordant, l'emmener en voyage dans un pays qu'il n'avait jamais vu, jamais avec personne, une nouveauté en somme, surprenons nous nous mêmes.
Il n'avait pas fêté cet âge charnière de tous les possibles, emprisonné dans un donjon gardé par une sorcière déguisée en princesse.
Elle, en bonne fée qu'elle était, avait décidé d'effacer les nuages gris de son coeur, et puis ce faisant elle faisait du bien au sien.
Les voilà donc à préparer leur voyage, la surprise, l'émerveillement dans ses yeux, les voilà donc s'organiser, profiter de chaque instant ensemble, faire des projets à court terme certes....mais quand même.
Les voilà la veille du départ, blottis l'un contre l'autre.
Les voilà dans le train, dans l'avion, survolant plusieurs pays vers le grand Nord.
Les voilà dans la ville danoise, où le soleil s'était déjà éteint dans la mer aux pieds de la petite Sirène.
Les voilà, marchant main dans la main, pour elle c'était nouveau tout ça, une première escapade à deux.
C'est vrai que ses nombreuses mises en garde freinaient sa propension à se laisser aller, c'est vrai.
Mais c'était si agréable, les réveils à deux, les baisers langoureux, la douceur, se sentir vivant, elle savait que l'avenir ne serait pas commun mais rien ne la pressait....vraiment.
L'envie lancinante d'être mère, l'envie constante d'être aimée, le besoin criant de liberté, toutes ces choses aussi elle les lui avait dites.
Malgré cela, ils continuaient, main dans la main à arpenter la ville, à rire ensemble de leurs réflexions philosophiques sur la vie et le mauvais temps, la gentillesse et l'accueil des gens, les voyages qu'il restait encore à faire, leur jeunesse....
Et là, sur la route vers la petite sirène, il lui dit, pour la première fois clairement, qu'entre eux deux, sans vouloir lui faire de peine, ça n'irait pas plus loin, qu'il ne voyait pas l'avenir ensemble.
Rien de nouveau en fait....sauf, pourquoi le dire à nouveau?
Peut-être ces quelques lettres qui forment un prénom, ce prénom qu'elle entend pour la première fois, ce prénom qu'elle pensait n'entendre que dans quelques mois peut-être.....peut-être que son empressement à lui à modifier le quotidien doux et paisible qu'ils avaient bâti ensemble venait de là.
Même si quelques heures plus tôt il disait que ce qu'ils vivaient lui allait trés bien comme ça.
Même si quelques jours plus tôt, il disait qu'il avait hâte de vivre ce voyage avec elle, qu'il avait hâte de se blottir dans ses bras.
Même si quelques messages plus tôt, il disait vouloir aller à tel ou tel endroit ensemble, qu'ils avaient le temps....
Le coeur a ses raisons parfois.
Le coeur a donc parlé.
Là, dans le froid venu du Nord, face à cette petite sirène majestueuse, les remous calmes de la mer lui faisaient entrevoir un avenir différent, la ramenaient pourtant à une vérité glaciale, la solitude, celle qu'elle avait réussi à chasser grâce à cette parenthèse inattendue entre eux.
Il tentait de la faire rire, de la faire sourire, de la rassurer, de l'entourer.
Le voyage continuait, trois jours, trois jours qu'elle n'avait pas envisagé sous cet angle, et qui pourtant sonnaient comme une transition.
Il y avait bien eu un avant et un après, même si l'on se raisonne et qu'on tente de garder la tête froide, on s'attache forcément, on s'habitue au bonheur, faibles humains que nous sommes.
En refermant la porte sur lui, après des aurevoirs et des promesses de ne pas s'oublier, elle se demandait si elle avait rêvé.
Avait-elle vécu ce voyage?
Avait-elle bien refermé cette parenthèse entre le passé et l'avenir?
La thérapie était donc déjà finie.
Son cœur était prêt à vivre la grande aventure de l'amour de sa vie. Mais où se cachait cet être mystérieux, qui serait fou d'elle au point de ne plus savoir vivre une seconde sans elle?
Où se cachait celui qui avait besoin d'être avec elle pour voir la vie en rose et pour la vivre chaque jour, ensemble? Où se trouvait celui qui ne renoncerait à elle pour rien au monde, conscient d'avoir la chance d'être aimé à ce point?
Elle ne le savait pas à l'instant présent, tant accablée par sa solitude retrouvée que c'est les yeux embués qu'elle voyait s'étendre le jour d'après.
Mais un jour suivant arriverait, puis un autre, puis des semaines.....puis des années.
Le meilleur restait donc à venir, à écrire, à vivre.
Et comme chaque voyage prépare le suivant, cette histoire préparait la suivante.
Sans doute qu'elle se préparait déjà dans son cœur à lui, et qu'il se sentait désormais libre complètement, grâce à elle, et aux choses qu'ils s'étaient apportées.
Maintenant il leur fallait apprendre à vivre pour de bon, sans peur du lendemain, sans peur de l'engagement ou du reste, assurément.
"De cette parenthèse, vous ne devrez retenir que le meilleur"leur dit la petite sirène, "le meilleur de vous, le meilleur de ce que la vie vous réserve, cette histoire vous a permis de grandir, cette histoire vous a permis de vous connaître vous à travers l'autre".
Voilà une histoire que n'a pas écrit Andersen, un conte de fées moderne, qui ne se termine pas par un mariage et de nombreux enfants, mais quand même par un Happy End.
Je vous embrasse.
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