Et Reggiani....
Je ne vous parlerai pas de tristesse ni ferai de discours larmoyants.
Ce que je veux vous raconter c'est l'amitié, l'amour, la tendresse, l'affection, toutes ces choses que j'ai entendu ce matin.
Toutes ces robes noires debout comme un bloc, face à la douleur de deux familles, le barreau et la vraie famille, celle à laquelle, j'en suis sûre il aurait aimé accorder plus de temps.
On n'est jamais prêt quand vient l'heure de tirer sa révérence, on n'est jamais d'accord, comme dans cette chanson diffusée à la fin des obsèques, quand Reggiani dit, "j'ai pas fini, j'ai pas fini" pour raconter toutes les choses qu'il voudrait encore faire avant de partir.....
Cet homme qui est parti, alors que je vous écrivais ma peine face à cette sourde injustice, face à mon impuissance et ma rage, est parti comme Molière disait son frère.....
Durant sept jours nous nous sommes croisés tant de fois, salués de la tête, dit bonjour, mais on ne s'est vraiment jamais parlé.
Je ne me suis jamais assise prés de lui pour boire un café.
Je ne l'ai jamais entendu me raconter ses anecdotes, je ne l'ai jamais appelé par son prénom.
Et pourtant ce matin, dans cette Eglise, j'étais là, parmi tant d'autres robes noires, et j'ai pleuré.
Peut être à cause de mon hyper empathie. Peut être parce que je suis une fille.
Peut être parce que j'ai compris que la colonne des "contre" était plus que rempli sur le tableau que j'ai fait à la va vite sur un bout de papier, quant à mon avenir professionnel en tant que trublion.
Et puis sans doute parce que je pense que ce silence assourdissant, depuis qu'il est parti est une chose insoutenable pour sa famille, qui devait lui dire, sur un ton gentillet, de lever le pied, de prendre du recul, de se calmer, et qu'il n'a écouté personne, parce qu'il était "trop humain, trop entier, trop sanguin".
Tous les grands étaient là, ils ont tous arrêté le temps agité de leur vie professionnelle pour quelques heures pour saluer leur ami, leur camarade, leur frère d'armes.
L'Eglise était pleine.
Et puis?
Qu'ont ils retenu?
Ont ils compris que s'ils ne freinaient pas un peu, c'est leur coeur qui les obligerait à freiner?
Et sans crier gare, sans préavis, sans leur dire gentiment, mais en stoppant tout net, en arrêtant tout, en ne préparant ni leur famille, ni leurs amis.
J'ai beaucoup pleuré pour cet homme que je ne connaissais pas.
Bien sûr que je trouve cela injuste, bien sûr que j'ai envie de crier.
Mais je sais aussi que j'ai raison.
Ce métier que l'on aime est finalement dangereux, bien plus que la vie quotidienne, bien plus que de traverser la rue, que de prendre l'avion ou le bateau.
Ce métier nous prend, nous emmène, nous emporte, nous fatigue, nous malmène, nous surprend et finit par nous faire dépasser les limites physiques que notre corps peut supporter.
On se croit fort, on se croit insurmontable, on se croit insubmersible, on se croit à l'abri.
On n'a jamais le temps de voir un médecin, on n'a jamais le temps de voir nos parents, nos amis, nos enfants, ou alors si, mais aprés on retourne au bureau pour finir.....
Finir quoi?
Qu'y a t il de si important qui ne puisse être remis à demain?
La raison n'est elle pas celle du corps?du coeur?de l'esprit?
Un dossier, un client, un verdict, et je suis bien placée pour en parler, moi qui mardi encore, pleurais toutes les larmes de rage qu'il me restait sur le sort de mon client, sont ils tous plus importants que nous?
Durant ces sept jours, je l'ai vu, sa grandeur, ses cheveux blancs, sa démarche faussement désinvolte, les mots choisis ce matin étaient de vrais mots, forts, sincères.
Il était c'est vrai, difficile à approcher, mais ceux qui ont réussi pleurent aujourd'hui quelqu'un de bon, et se disent qu'il sera presqu'impossible de continuer à vivre sans lui.
Il va falloir effacer le numéro dans le répertoire, il va falloir faire des cartons, la mort fait partie de la vie, oui, sans doute.
Mais personne n'est jamais prêt quand elle vient nous chercher.
Alors pour être sûr, vivons, dormons, dansons, nageons, crions, aimons.
Comme le disait Ronsard.
Et Reggiani....
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